Alors qu’une vague de décrochage sans précédent est attendue à la
prochaine rentrée, le CLEPT, établissement public pionnier dans le raccrochage scolaire est menacé.

Quand neurosciences et évaluations/contrôles sont les principales boussoles de pilotage, quand la réforme du lycée d’enseignement général prend le risque de le transformer en une « préparation à parcours sup » avec de nouveaux programmes jugés dans certaines disciplines élitistes et encyclopédiques, quand la diminution importante des disciplines académiques en lycée professionnel accentue encore plus la relégation de la filière et renforce l’assignation au bas de l’échelle sociale….comment s’étonner que l’après confinement mette crument en lumière ce que le CLEPT ne cesse de dénoncer depuis 20 ans en démontrant le leurre de « l’égalité des chances » et de son corollaire méritocratique.

Pionnier dans la lutte contre le décrochage, le Clept s’efforce, à son échelle, de rendre plus juste le monde scolaire et témoigne par ses résultats que « la démocratisation ségrégative » n’est pas une fatalité. Est-ce pour cela que son cahier des charges ambitieux est aujourd’hui menacé de dénaturation ?

En 2000 à Grenoble il ouvrit ses portes aux floués de l’école pour tous happés par la déscolarisation. Et une autre commande institutionnelle le mobilisait aussi: essaimer ce qui pouvait être transférables à l’ensemble du système éducatif. Aujourd’hui, par ses pratiques, son organisation, ses résultats, il continue à refuser les « inégalités justes » que l’école ordinaire justifie et à rendre manifeste qu’une réussite élitaire est possible pour les ex-perdants de la
compétition scolaire.

Or, depuis cette rentrée 2019, le CLEPT subit pressions, suspicions, et menaces diverses dont la non reconduction de la convention autorisant son fonctionnement hors normes indispensable à l’atteinte de ses objectifs. Son équipe s’épuise en vaines justifications, en vigilances incessantes pour parer les effets d’une normalisation funeste.

Volontaires, tous les enseignants du Clept ont accepté d’assumer la feuille de route qu’autorise son statut dérogatoire :

  • ils consacrent une trentaine d’heures de présence hebdomadaires à cet établissement Public dont 3 sont réservées à une Recherche-Action interne qui sollicite une lucidité de praticiens réflexifs.
  • ils sont partie prenante d’un constant travail en équipe : transdisciplinarité, cours à plusieurs voix, polyvalence éducative, essaimage et formation.

Cette nouvelle professionnalité dans laquelle ces enseignants s’engagent sert des objectifs ambitieux : réconciliation avec la capacité d’apprendre et de réussir (obtention d’un bac général, réorientations choisies, poursuites post bac).

Presque 20 ans après son ouverture, le Clept demeurerait-il coupable de son péché originel ? Celui de ne pas être le produit d’une décision prescriptive émanant de l’autorité institutionnelle hiérarchique mais le résultat d’une mobilisation associative opiniâtre, lanceuse d’alerte sur la question, alors minorée, du décrochage scolaire.

En décidant d’emprunter à Antoine Vitez l’exigence de l’élitaire pour tous, le Clept affiche son choix d’une inclusion digne de ce nom. Chaînon manquant dans l’offre scolaire, il permet à des jeunes en déshérence, y compris collégiens, de re conjuguer le futur.

Il n’est pas un dispositif palliatif de plus, mais un établissement expérimental qui offre aux aspirations des 100 jeunes qui le fréquentent d’autres hypothèses que la seule insertion par la professionnalisation immédiate.

Le Clept atteste que l’école sait être son propre recours si elle en a la volonté politique.

Il matérialise à sa façon ce que le philosophe Ernst Bloch désignait positivement par « Utopie Concrète ». Non pas un modèle chimérique ou une fuite illusoire dans l’irréel, mais une proposition porteuse d’une fonction sociale indispensable au devenir des sociétés. En réconciliant avec la fréquentation de savoirs émancipateurs des jeunes antérieurement étiquetés « pas faits pour l’école », en les dotant de diplômes jugés inaccessibles, le Clept questionne l’institution scolaire sur ses angles morts, ses présupposés, ses limites.Il le fait conscient des enjeux éthiques et politiques d’un (r)accrochage: « on croit faire des études, puis on découvre que ce sont les études qui vous font ou vous défont ».

Depuis 20 ans, le Clept, à la hauteur de ses moyens, dessine des alternatives, explore d’autres possibles, multiplie les initiatives pour affronter le symptôme persistant des enquêtes PISA : le creusement des inégalités. « Ne dites jamais « c’est naturel » afin que rien ne passe pour immuable », cette citation de B.Brecht constitue l’un de ses viatiques.

Une visite du site web du Clept (leClept.org) permet de saisir les contours de ses responsabilités particulières à la lecture des témoignages de celles et ceux (jeunes/parents/) pour lesquels il constitua une rencontre décisive.

Co signataires de cette tribune, nous connaissons le Clept et, pour nombre d’entre nous, travaillons avec lui à des niveaux divers et depuis suffisamment longtemps pour estimer qu’il faut collectivement s’opposer aux offensives mettant en danger son intégrité et la nature de ses missions. Nous demandons aux arbitrages nationaux et rectoraux de se manifester rapidement afin de dissiper malentendu ou arbitraire pour que le pouvoir d’impulsion et de soutien l’emporte sur le pouvoir d’empêchement.

Guy Berger : Professeur émérite en Sciences de l’Education, Président d’honneur du Conseil scientifique du Clept, Fanette Arnaud : Médiatrice littéraire, Isabelle Autissier : Navigatrice et Ecrivaine, Jean-Marie Barbier : Professeur au CNAM, Titulaire d’une chaire UNESCO, Aurélien Barrau, Astrophysicien, Philippe Bellendy : Institut des géosciences de l’environnement Grenoble, Britt-Mari Barth : Professeur émérite à l’Institut supérieur de Pédagogie ICP Mireille Baurens : Maîtresse de conférences en Anglais Université Grenoble Alpes, Stéphane Beaud : Professeur de Sociologie à l’Université de Poitiers, François Beaune : écrivain, Virginie Berda : Documentariste, Anne Emmanuelle Berger : Professeur de Littérature française et d’études de genre à l’Université Paris 8,Thierry Berthet : Directeur de recherche au CNRS, Bordeaux, Marie-Cécile Bloch : Enseignante Formatrice co fondatrice du CLEPT, de La Bouture et de la FESPI, Françoise Boch : Maître de conférences en Sciences du langage Université Grenoble Alpes, Guy Boley : Ecrivain, Patrick Boumard : Professeur émérite, Président de l’ARFISE, Olivier Brito : Maître de Conférences en Sciences de l’Education Université Paris Nanterre, Jean-Charles Chabanne : Professeur en Sciences de l’éducation et de la formation à l’ENS de Lyon, Benoit Chabaud : Maître de conférences Université Grenoble Alpes, Antoine Choplin : écrivain, Yves Citton : Professeur de Littérature et Médias à l’Université Paris 8, Alain Coulombel, ex Conseiller régional EELV , Président de la commission -formation générale et lycées-, François Dubet : Directeur d’Etudes à l’EHESS, Eric Favey : Vice Président national de la Ligue de l’enseignement, Catherine Frier : Maître de conférences au laboratoire LIDILEM, Bernard Gerde : Enseignant Formateur co fondateur du CLEPT, de La Bouture et de la FESPI, Brigitte Giraud, Ecrivaine, Dominique Glasman : Professeur émérite de Sociologie à l’Université de Savoie, Marie-Aleth Grard : Vice Présidente d’ATD Quart Monde, Marie-Anne Hugon : Professeur émérite en Sciences de l’Education Université Paris Nanterre, Didier Lapeyronnie : Professeur de sociologie à la Sorbonne, Raoul Lucas : Historien de l’Education en l’ile de la Réunion, Philippe Meirieu : Professeur émérite à l’Université Lumière Lyon 2 , Valérie Melin, Maître de conférences en Sciences de l’éducation Université de Lille, Christiane Montandon : Professeur émérite en Sciences de l’Education à l’Université Paris Créteil, Richard Monvoisin : Ingénieur de Recherche LARAC Université Grenoble Alpes , Chantal Morel : Metteuse en scène, Olivier Neveux : Directeur adjoint du département Lettres et Arts de l’ENS de Lyon, Franck Pavloff : Psychologue et Ecrivain, Pierre Péju : Ecrivain, Jean-Paul Pénard : Réalisateur de documentaires, Eric Plaisance : Professeur émérite de l’Université Paris Descartes en Sciences de l’Education, Martine Pons : Maître de conférences en Sciences de l’Education Université Grenoble Alpes, Yann Renault : esponsable associatif, Michèle Rivasi : Députée européenne, Jean-Yves Rochex : Professeur émérite Université Paris 8 Saint Denis, Rémi Rouault : Professeur émérite Université de Caen, Virginie Saclier : Auteure et réalisatrice de documentaires, Benoît Schmutz : Professeur en Economie à l’Ecole Polytechnique, jean Luc Seigle : écrivain, Elisabeth Sénégas : Fondatrice et animatrice de la Chimère citoyenne, Jean-Pascal Simon Universitaire et Secrétaire Général Sup Recherche – UNSA, André Soutrenon : Responsable éditorial Chronique Sociale Lyon, Délia Steinmann : Psychanalyste, Henri Touati : ancien Directeur du Centre des Arts du Récit en Isère, Anne Vautrin : Présidente de l’association Autisme Solidarité, Joël Zaffran : Professeur de sociologie Université de Bordeaux.