L’épistémologie au CLEPT

« Ils ne veulent plus être élèves, faisons de nos jeunes des étudiants ».

C’est à partir de cette idée qu’un groupe de six enseignants a réfléchi à une proposition de travail autour de l’épistémologie à destination des jeunes de notre établissement.

Le Collège Lycée Elitaire pour Tous est un établissement de l’Education Nationale. Il a ouvert ses portes à Grenoble, dans le quartier de la Villeneuve, en Septembre 2000. Son effectif moyen est d’une centaine d’élèves.

Son équipe est composée d’enseignants volontaires qui assurent l’ensemble des charges nécessaires au fonctionnement de tout établissement (cours, tutorat, vie scolaire) mais aussi de nombreuses autres fonctions déclinées dans le cahier des charges de cet établissement alternatif (animer un groupe de base et une boutique d’écriture, accompagner les élèves dans les ateliers éducatifs et culturels, etc.)

Le CLEPT propose un retour en scolarité à tout jeune ayant encore le désir d’école après avoir décroché d’une 4e ou d’un CAP, ou d’une seconde professionnelle ou d’une 1ère S, ou d’une Terminale L, etc. Certains après avoir raccroché, poursuivront jusqu’à un bac d’enseignement général, d’autres poursuivront dans d’autres voies ailleurs.

Aujourd’hui, le CLEPT est organisé en deux cycles :

Le cycle 1 d’une durée variant de quelques mois à deux ans et demi, est dédié au raccrochage et à la consolidation des acquis scolaires : les modules de raccrochage.

Le cycle 2 poursuit la fréquentation des savoirs émancipateurs et se clôt par le passage des baccalauréats L, S, ES.

Pourquoi de l’épistémologie au CLEPT ?

Le contexte national

La montée en puissance des rumeurs ou des fake news dans le débat public, l’impact grandissant chez nos élèves des thèses complotistes nous ont convaincus de la nécessité  de chercher de nouvelles voies pour armer intellectuellement nos élèves. Nous avions le souci de ne pas faire un enseignement dogmatique afin de répondre à ces problèmes. Nos discussions ont débouché sur l’intérêt de questionner les connaissances que nous enseignons en éclairant leurs origines et leurs évolutions.

Une offre élitaire pour tous

Le projet du CLEPT a émergé d’une réflexion portée par l’association la Bouture sur les décrocheurs de l’Education Nationale. C’est en réalisant une étude sur les processus de décrochage scolaire que cette association a pu montrer que les décrocheurs/décrochés d’une part ont pour beaucoup le désir d’une école « élitaire » ouvrant tous les possibles, et d’autre part sont de puissants analyseurs des insuffisances de l’offre scolaire.

La proposition de la philosophie à tous les niveaux a pour finalité de montrer que chacun pouvait penser. Elle est au service de la réconciliation des jeunes face aux savoirs.

Pour relever ce défi, plus largement, l’idée de l’épistémologie a émergé dans une équipe affirmant depuis toujours « Ils ne veulent plus être élèves, faisons de nos jeunes des étudiants ».

Un moment opportun dans l’évolution du CLEPT.

Les visées et le fonctionnement du CLEPT obligent ses enseignants à avoir un regard critique sur leur professionnalité. La « résistance«  disciplinaire et le cloisonnement restent encore forts.

Dès les premières années, des innovations comme la fusion des 4 disciplines expérimentales (Physique, Chimie, Biologie ET Géologie) en Science de la Matière ont entretenu une réflexion autour de la question de la transdisciplinarité. D’autres propositions ont aussi favorisé cette visée, et sont allées dans le même sens comme les Jours Extraordinaires, la Grammaire des nombres, autour du Récit en Lettres/Histoire, une lecture croisée en Sociologie et Littérature, etc…

Non seulement l’épistémologie partage cette finalité de décloisonner les disciplines dont les contenus et les démarches peuvent être parfois différents, mais de plus, elle irrigue et questionne nos cours.

Pour quoi de l’épistémologie au CLEPT?

Cette volonté de décloisonner les disciplines afin de donner du sens s’est initiée à travers la mise en place de deux Pôles ; d’une part un Pôle Sciences dans lequel étaient mélangées les Sciences et Vie de la Terre, la Physique-Chimie et la Géographie et d’autre part un pôle s Sciences Humaines qui comptait la Sociologie, l’Histoire et les Lettres. Nous n’avions mené cette expérience que sur un semestre en Module de raccrochage.

Et nous avions conclu qu’il existait un dénominateur commun dans nos démarches malgré la spécificité de chaque discipline : la compréhension de l’être humain et de l’environnement dans lequel il évolue. La pensée d’Edgar Morin1 nous a aidés à réfléchir dans ce sens. Fort de cette expérience, nous avons décidé de réunir ces deux pôles au sein de l’enseignement d’épistémologie.

Il s’agit d’ y inviter les jeunes à se questionner sur ce qu’est une connaissance, sur ce qui la légitime et, plus particulièrement ce qui conduit les choix des contenus des programmes scolaires.

Puis l’équipe en charge de l’épistémologie s’est réunie et à dégager trois essentiels pour comprendre de la construction des connaissances : sources, démarches, modèles.

L’épistémologie est donc une proposition pédagogique supplémentaire visant à rendre l’élève sujet de son apprentissage notamment par la mise en lumière du rôle primordial de la curiosité intellectuelle comme moteur dans la construction des connaissances.

Cette innovation renforce notre volonté de permettre à chaque jeune de trouver une place grâce à des savoirs émancipateurs.

La mise en oeuvre de l’épistémologie au CLEPT.

L’épistémologie a lieu une fois par semaine, les séances durent 2H30. Il s’agit de mettre les élèves dans une posture de recherche et de questionnement. Des travaux de groupes sont souvent proposés, avec, notamment, le souci de développer l’autonomie de nos élèves.

L’épistémologie s’adresse à tous les élèves du 1er cycle, répartis dans des groupes délibérément mixtes, mélangeant celles et ceux qui n’ont pas fini le cursus du collège à d’autres ayant parfois déjà fréquenté les classes du dernier cycle du lycée.

L’hétérogénéité favorise la coopération entre jeunes.

Lieu « nouveau », les élèves sont ainsi libérés du poids des prérequis. Nous réaffirmons ainsi le principe de l’éducabilité cognitive, chaque élève est capable de rentrer dans une proposition intellectuelle exigeante.

On s’appuie davantage sur les élèves que sur leur niveau Ce cadre facilite pour certains élèves un questionnement sans crainte de perdre la face ; ils se rendent compte qu’ils sont capables de penser.

Notre pari : qu’ils comprennent davantage d’où viennent les connaissances qu’ils apprennent à l’école afin de mieux comprendre le monde qui les entoure.

Les perspectives

L’épistémologie est source d’émulation dans l’équipe :

  • elle questionne nos pratiques

  • elle incite à travailler en équipe

  • elle décloisonne les disciplines

Cette expérience nous a montré l’importance de questionner les connaissances afin de pouvoir échanger avec nos élèves et de déconstruire certaines évidences. Par ailleurs, nous remarquons que cette démarche rentre en résonnance avec l’actualité concernant le complotisme. L’épistémologie est le pari de montrer la complexité du monde plutôt d’apporter des réponses trop dogmatiques. Le but de cet enseignement est de les rendre des élèves en étudiants de construire une posture critique autour, et aussi de faire d’eux des citoyens éclairés du XXI siècle.

Il nous reste encore à trouver des outils qui permettent d’évaluer ce que nous proposons. En effet, il faut du temps pour prendre la mesure de ce que nous avons réussi ou non avec nos élèves. Mais nous avons demandé à nos élèves de décrire et de dire ce qu’ils pensaient de l’épistémologie.

Des paroles d’élèves :

Un élève de module 1 :

Il s’agit d’apprendre comment les connaissances sont construites et a se demander si une source et fiable ?

L’épistémologie permet de construire son opinion, ses pensées d’adulte, sur des sources fiables, et remettre en question les informations qu’on nous propose pour y adhérer ou non.

Un élève de module 2 :

Il s’agit d’étudier l’origine de la construction des connaissances : comme la découverte de l’Amérique ou pourquoi il faut se laver les mains ? la Corée du Nord. À partir de différentes sources : de revues, de documentaires, d’émissions de radio.

Il s’agit de comprendre comment se construisent les connaissances ? Quels sont les points de vue de chercheurs de différentes disciplines ? Quelle est la fiabilité d’une source d’information ?

Un élève de module 3 :

Il s’agit à partir d’études de cas (la découverte de l’Amérique, la civilisation gauloise …), on compare les différentes sources qu’on a à disposition (provenant de différents époques, de différents lieux) et on étudie les différences de sens, de points de vue, des avis des documents, pour en tirer des conclusions (fiabilité des sources, difficulté de savoir ce qu’ils s’est réellement passé tellement les témoignages divergent, différences de perception d’un phénomène par différentes cultures…).

Il s’agit de nous faire réfléchir sur les raisons pour lesquelles on doit/devrait apprendre, accumuler des connaissances (ce qui répond à la question « pourquoi va-t-on à l’école » que tout le monde, les décrocheurs en particulier, se pose)

Il s’agit aussi de nous faire découvrir des civilisations, inventions, faits historiques par le biais des études de cas ou des exemples.

Anthony Lecapre , enseignant d’histoire-géographie et Marie-Pierre Dupillier, enseignante en SVT au CLEPT.

1 Edgar Morin : « Il faut enseigner ce qu’est être humain » LE MONDE | 25.10.2013 Propos recueillis par Maryline Baumard